La
rencontre entre les élèves du collège de la Nadière à Port la Nouvelle
et Valérie Schlee a été l'occasion de découvrir un métier : Lectrice.
Les
adolescents s'étonnent que l'on puisse ainsi discuter une heure durant
sur un métier qui n'existe pas. Comment peut-on prétendre être lectrice
professionnelle ? Ainsi la première question dit tout le scepticisme des
élèves :
Pourquoi pas un autre métier ?
Valérie : J'ai exercé un autre métier avant d'être lectrice.
J’ai
été animatrice d’ateliers d’écriture pendant dix ans. Il existe toutes
sortes d’ateliers d’écriture ; pour ma part le but premier était
d’encourager et de donner des outils à chacun, par l’expérience, pour
devenir un lecteur plus vigilant, plus exigeant. Il était déjà question
de lecture !
Mais
le premier métier que j’ai exercé et vraiment choisi depuis l’enfance,
c’était mère au foyer : un métier très polyvalent qui m’a aussi laissé
le temps de la lecture et de l’écriture.
Une
lecture personnelle, celle que je faisais à mes enfants, celle que je
donnais bénévolement dans les écoles de mes enfants. Il y a des gens qui
pensent que lire des histoires aux enfants n'a aucun intérêt. Ce n'est pas mon cas. La lecture c’est avant tout une histoire singulière : chacun a un rapport particulier à la lecture.
En
quelques mots, la mienne a commencé par la lecture que mon père et ma
mère nous donnaient à mon frère ma sœur et moi quand nous étions petits.
Lecture à voix haute en premier lieu. Lieu aussi d’une bibliothèque
dans différents endroits de l’appartement familial : entrée, salon,
chambres à coucher, bureau…lecture à portée de main ! Lieu d’une voix :
ma mère lisait de la poésie en allemand, en français, à voix haute. Elle
ne nous lisait pas, elle s’incorporait la poésie, la musique de la
langue, par sa voix déclamant, pour elle avant tout. Nous baignions dans
la lecture.
Lire fait partie intégrante de ma vie.
Dans
mon travail de lectrice, ce que j'aime c'est de partager des lectures
et si possible, donner envie de lire. Si on reste tout seul chez soi
sans voir personne, on ne peut pas tomber amoureux ! Avec la lecture,
c’est pareil : si on ne lit pas, si on ne vous lit pas de textes, de
livres, on ne peut pas rencontrer un livre, un auteur, on ne peut pas
découvrir cet amour de la lecture. Je veux provoquer cette possibilité
de tomber amoureux d'un texte.
A
qui, pour qui je lis ? Aujourd’hui, très peu aux enfants, mais plutôt
aux adolescents et aux adultes. C’est une question de sensibilité. On
lit beaucoup pour les enfants, en bibliothèque, à l’école maternelle,
primaire ; après ça se perd. Il m’a vite semblé plus important de lire pour les plus grands.
Est-ce que vous faites du théâtre ?
Valérie :
Non. La lecture à haute voix n'est pas théatralisée. Le comédien
s'implique forcément dans le texte. Il interprète le texte avec sa
personnalité. Moi je choisis le texte. Ce qui m'intéresse c'est de
mettre le texte en avant, m'effacer pour qu'il ne reste que les mots de
l'auteur. La question de la lecture neutre est vaste… Juste cette phrase
de Antonio Machado dans “Juan de Mairena” : “Mareina n’était pas un
récitant de poèmes. Il se contentait de lire sans gesticulations, d’un
ton neutre, légèrement chantant. Il portait l’accent de l’émotion là où
il supposait que le poète l’y avait porté. Comme il n’était pas non plus
un virtuose de la lecture, il ne prétendait jamais, en lisant des vers
ou de la prose, que l’on dise de lui : Comme cet homme lit bien ! mais
au contraire : Comme c’est bien, ce que lit cet homme ! et peu lui
importait que l’on ajoute: Dommage qu’il ne lise pas mieux ! Il
répugnait à lire ses propres vers, qui n’étaient plus à ses yeux que
cendres après le feu, copeaux de menuiserie, rebuts sans intérêt. Les
entendre déclamer, chanter, bramer par des récitants ou, pire encore par
des récitantes professionnelles, l’aurait horripilé. Il aimait en revanche les entendre réciter par les enfants des écoles.”
Comme
le métier de comédien, la lecture à voix haute se travaille ! Il existe
des stages, des formations de lecture à voix haute. Il y a des
techniques de travail de la voix, de la présence, de l’espace, du
rapport à l’auditoire. Et un long travail de choix des textes en
fonction du public qui va les recevoir. On ne lit pas de la même façon
et pas les mêmes extraits, si c’est pour donner envie de lire ou si
c’est pour un public de “connaisseurs”.
Quelle distance vous mettez entre vous et le texte ?
Valérie : Celle
que je mets quand je réécris mes propres textes, c’est à dire que je
tente de me mettre à la portée de celui qui lit ou entend. Imaginant, à
l’extrême, que je lis pour quelqu’un dont le français n’est pas la
langue maternelle, ou pour quelqu’un qui déchiffre un texte, ou qui
entend mal, ou simplement qui lit pour lui-même. J’aime bien ce que dit
Dominique Sampiero dans “Celui qui dit les mots avec sa bouche”: “Je dis
lecture, pour souligner les yeux baissés, l’attention portée au texte
comme un marcheur à son chemin, la fragilité, la dépendance, une sorte
de bague au doigt de l’instant, l’acteur quand il lit un texte, qui
est-il ? Et qui suis-je moi qui le reçoit ? Il ne me rend rien. C’est
pire, plus grave. Il me donne. Et j’ai l’impression d’entendre pour la
première fois, j’ai l’impression qu’il me donne enfin le texte, et
qu’écrire n’avait pas suffit.”
Vous écrivez quoi ?
Valérie :
J'écris de la poésie, de la prose poétique. Dans ma propre pratique
d’écriture, une des étapes de réécriture, de travail sur le texte, en
passe par la lecture à voix haute, parfois enregistrée. A la 1ère
lecture à voix haute, j’entends, je sens où le texte accroche, où le
rythme est cassé, où les mots défont la musique ou le sens, où les
lourdeurs s’amoncellent. Ensuite, à l’écoute de l’enregistrement
–manière de recul – je repère encore d’autres scories ou en tire des
fils pour poursuivre l’écriture.
C’est
un peu le « gueuloir » de Flaubert : il s'interrompait régulièrement
pour gueuler (d'où le nom de gueuloir) ses textes, les mettant à
l'épreuve de l'oral pour vérifier la cohérence et la pureté de chaque
proposition : les phrases mal écrites ne résistent pas à cette épreuve ;
elles oppressent la poitrine, gênent les battements du cœur et se
trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie. Mais attention, on ne
parle pas ici d'une simple déclamation orale, ou d'une lecture plate et
morne : le mot gueuler prend toute sa dimension, déployant les décibels, laissant Flaubert les poumons en feu.
Comment vit-on de la lecture ?
Valérie :
C’est toute une entreprise ! On peut exercer cette activité dans le
cadre d’une association et être salariée ou créer une micro-entreprise
en profession libérale. J’ai choisi cette deuxième solution. Je facture
mes lectures, paie des charges sociales, m’occupe de ma comptabiblité.
Pour ce métier je suis rentrée dans la case APE “métiers du spectacle”.
C’est aussi créer des supports d’information ou de “publicité”, parce
qu’il faut se faire connaître et trouver des contrats. On peut
diversifier son activité : lectures en bibliothèque, en médiathèque,
dans les colleges et lycées, sur des lieux d’expositions d’art, mais
aussi proposer des ateliers de lecture à voix haute, ou intervenir comme
formateur dans des écoles, universités ou formations professionnelles.
Cela fait 3 ans que j’exerce cette activité de lectrice et je gagne
encore très peu d’argent. Il y a des périodes dans l’année où les
demandes se concentrent et puis d’autres où il n’y a pas de travail.
Mais j’ai fait le choix d’une activité qui me passionne, qui me laisse
une grande liberté de gestion de mon temps (et aussi du temps pour
écrire !) ce qui compense largement un maigre budget !
Est ce que la lecture peut rester un plaisir lorsqu'elle est commandée ?
Valérie : Un plaisir pour qui et commandée par qui ?
Un
plaisir pour les jeunes que les programmes scolaires obligent à lire ?
la lecture peut rester ou devenir un plaisir selon la manière dont elle
est amenée ou orchestrée par les enseignants et par la rencontre avec
des lecteurs ! Le contexte familial est très important aussi. Si les
jeunes qui goûtent à la lecture plaisir pouvaient devenir des parents
lecteurs, ce serait formidable ! Je pense que le plus important est de
créer les conditions favorables à un plaisir de la lecture. Le “travail”
sur les textes se fait alors beaucoup plus spontanément, parce que le
texte “travaille” le lecteur ! On créé un appétit ! J’aime bien ce texte
du poète Patrick Dubost : “lire n’est pas nécessairement analyser,
n’est pas nécessairement “comprendre”. A la piscine, on ne demande pas
au nageur la composition de l’eau, le nombre et la répartition des
baigneurs, ou pourquoi telle nage sous tel saint du calendrier. On ne
lui demande pas de décrire en crawlant l’architecture ou l’acoustique du
lieu, ou d’expliquer un oiseau prisonnier sous les voûtes, ou de singer
au mieux la traversée d’un phoque olympique. On ne lui demande pas
d’apprendre par coeur les heures d’ouverture ou de s’emmerder à siffler
sur un banc toute la durée d’un cours sur la brasse papillon. Non. On ne
lui demande pas, pour finir, avant chaque plongeon, de remonter un sens
caché de là : tout au fond de la piscine. Non. On laisse nager les
nageurs. On laisse nager les nageurs. Et les piscines font le plein.”
Un
plaisir pour la lectrice à qui on commande des lectures ? Dans les
périodes où les commandes s’amoncellent, il m’arrive parfois de perdre
un peu du plaisir, parce que le temps de la lecture est grignoté par le
manque de temps justement ! Ensuite il y a les textes ou les auteurs
commandés que je ne considère pas toujours comme passionnants : là le
plaisir peut être émoussé. J’ai choisi cette activité parce que j’aime
lire absolument, que la curiosité reste un moteur et que je pense
nécessaire le développement, la complexification de la pensée grâce à la
lecture, dans un monde où la simplification de la pensée mène au
fascisme. C’est donc un plaisir motivé et renouvelé !
Site CDDP d'un livre à l'Aude - Marie-Laure de Capella
j'aimerais moi aussi devenir lectrice.Pourriez-vous me donner vos coordonnées que je puisse échanger vec vous?Cordialement.I.Verrey
RépondreSupprimerIsabelle, merci de m'envoyer un mail sur cesilence@gmail.com, que je puisse vous répondre !
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe viens de lire votre blog avec intérêt et m'y retrouve quelque peu... je fais effectivement partie de ces femmes qui ont effectivement choisi d'exercer le métier de mère au foyer... beaucoup moins réducteur que bon nombre de personnes ne le pense...mais tellement peu reconnu !
moi aussi j'ai lu des histoires à mes enfants, mais aussi à mes élèves lorsque j'étais enseignante... bien avant...
j'ai la cinquantaine et j'ai envie moi aussi de lire, de vivre cette aventure de mettre en vie es textes.
j'aimerais échanger avec vous.
Je vous invite à aller sur mon profil viadéo, afin de me connaitre un peu plus.
A très bientôt, je l'espère.
Marie-Françoise Leroy
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