c'était hier avec Marie Rajablat
et 25 personnes venues bravant la neige et le vent glacial.
Il faut continuer !
Frères Migrants, Patrick Chamoiseau (ed. Seuil)
DÉCLARATION DES POÈTES
1 - Les poètes déclarent : ni
orpheline, ni sans effets, aucune douleur n’a de frontières !
2 - Les poètes déclarent que
dans l’indéfini de l’univers se tient l’énigme de notre monde, que dans cette
énigme se tient le mystère du vivant, que dans ce mystère palpite la poésie des
hommes : pas un ne saurait se voir dépossédé de l’autre !
3 - Les poètes déclarent que
l’accomplissement mutuel de l’univers, de la planète, du vivant et des hommes
ne peut s’envisager que dans une horizontale plénitude du
vivant — cette manière d’être au monde par laquelle l’humanité cesse
d’être une menace pour elle-même. Et pour ce qui existe…
4 - Les poètes déclarent que par le
règne de la puissance actuelle, sous le fer de cette gloire, ont surgi les
défis qui menacent notre existence sur cette planète ; que, dès lors, tout
ce qu’il existe de sensible de vivant ou d’humain en dessous de notre ciel a le
droit, le devoir, de s’en écarter et de concourir d’une manière très humaine,
ou d’une autre encore bien plus humaine, à sa disparition.
5 - Les poètes déclarent qu’aller-venir et dévirer de par les rives du
monde sont un Droit poétique, c’est-à-dire : une décence qui s’élève de
tous les Droits connus visant à protéger le plus précieux de nos
humanités ; qu’aller-venir et dévirer sont un hommage offert à ceux vers
qui l’on va, à ceux chez qui l’on passe, et que c’est une célébration de
l’histoire humaine que d’honorer la terre entière de ses élans et de ses rêves.
Chacun peut décider de vivre cette célébration. Chacun peut se voir un jour
acculé à la vivre ou bien à la revivre. Et chacun, dans sa force d’agir, sa
puissance d’exister, se doit d’en prendre le plus grand soin.
6 - Les poètes déclarent qu’en la
matière des migrations individuelles ou collectives, trans-pays, trans-nations
et trans-monde, aucune pénalisation ne saurait être infligée à quiconque, et
pour quoi que ce soit, et qu’aucun délit de solidarité ne saurait décemment
exister.
7 - Les poètes déclarent que le
racisme, la xénophobie, l’indifférence à l’Autre qui vient qui passe qui
souffre et qui appelle sont des indécences qui dans l’histoire des hommes n’ont
ouvert la voie qu’aux exterminations, et donc que ne pas accueillir, même pour
de bonnes raisons, celui qui vient qui passe qui souffre et qui appelle est un
acte criminel.
8 - Les poètes déclarent qu’une
politique de sécurité qui laisse mourir et qui suspend des libertés
individuelles au nom de l’Ordre public contrevient au principe de Sûreté que
seul peut garantir l’exercice inaliénable indivisible des Droits fondamentaux.
9 - Les poètes déclarent qu’une
Constitution nationale ou supranationale qui n’anticiperait pas les procédures
d’accueil de ceux qui passent qui viennent et qui appellent, contreviendrait de
même manière à la Sûreté de tous.
10 - Les poètes déclarent qu’aucun
réfugié, chercheur d’asile, migrant sous une nécessité, éjecté volontaire,
aucun déplacé poétique, ne saurait apparaître dans un lieu de ce monde sans
qu’il n’ait — non pas un visage mais tous les visages, non pas un cœur
tous les cœurs, non pas une âme toutes les âmes. Qu’il incarne dès lors
l’Histoire de toutes nos histoires et devient par ce fait même un symbole
absolu de l’humaine dignité.
11 - Les poètes déclarent que jamais
plus un homme sur cette planète n’aura à fouler une terre
étrangère — toute terre lui sera native —, ni ne restera en marge
d’une citoyenneté — chaque citoyenneté le touchant de ses grâces —,
et que celle-ci, soucieuse de la diversité du monde, ne saurait décider des
bagages et outils culturels qu’il lui plaira de choisir.
12 - Les poètes déclarent que,
quelles que soient les circonstances, un enfant ne saurait naître en dehors de
l’enfance ; que l’enfance est le sel de la terre, le sol de notre sol, le
sang de tous les sangs, que l’enfance est donc partout chez elle, comme la
respiration du vent, le salubre de l’orage, le fécond de la foudre, prioritaire
en tout, plénière d’emblée et citoyenne d’office.
13 - Les poètes déclarent que la
Méditerranée entière est désormais le Lieu d’un hommage à ceux qui y sont
morts, qu’elle soutient de l’assise de ses rives une arche célébrante, ouverte
aux vents et ouverte aux plus infimes lumières, épelant pour tous les lettres
du mot accueil dans toutes les langues, dans tous les chants, et que ce
mot constitue uniment l’éthique du vivre-monde.
14 - Les poètes déclarent que les
frontières ne signalent qu’une partition de rythmes et de saveurs, qui n’oppose
pas mais qui accorde, qui ne sépare que pour relier, qui ne distingue que pour
rallier, et que dès lors aucun cerbère, aucun passeur, n’y trouvera à sévir,
aucun désir n’y trouvera à souffrir.
15 - Les poètes déclarent que toute
Nation est Nation-Relation, souveraine mais solidaire, offerte au soin de tous
et responsable de tous sur le tapis de ses frontières.
16 – Frères migrants, qui le monde
vivez, qui le vivez bien avant nous, les poètes déclarent en votre nom, que le
vouloir commun contre les forces brutes se nourrira des infimes impulsions. Que
l’effort est en chacun dans l’ordinaire du quotidien. Que le combat de chacun
est le combat de tous. Que le bonheur de tous clignote dans l’effort et la
grâce de chacun, jusqu’à nous dessiner un monde où ce qui verse et se déverse
par-dessus les frontières se transforme là même, de part et d’autre des murs et
de toutes les barrières, en cent fois
cent fois cent millions de lucioles ! — une seule pour maintenir
l'espoir à la portée de tous, les autres pour garantir l’ampleur de cette
beauté contre les forces contraires.
Paris, Genève, Rio,
Porto Alegre, Cayenne,
La Favorite,
Décembre 2016
Porto Alegre, Cayenne,
La Favorite,
Décembre 2016
Patrick Chamoiseau
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